18
octobre
2019

Diriger avec sincérité: une utopie?

Pour y parvenir, il faut une vision. Mais aussi une bonne dose de courage!

« Je n’ai à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. » Au moment où Winston Churchill, alors Premier ministre de Grande-Bretagne, prononce ce discours, devant la Chambre des Communes, cette démonstration de sincérité est proche du suicide politique. Nous sommes en mai 1940. L’offensive allemande lancée dans les Ardennes, quelques jours auparavant, a eu raison de l’armée française. C’est un désastre sans précédent. Le corps expéditionnaire britannique est en péril. Le discours est fort, le verbe bien choisi, la citation historique. Elle représente ce que Foucault, en référence à Socrate, appelle le courage de la vérité : assumer les conséquences de ce que l’on est en ayant le courage de mettre en œuvre sa vision, en l’imposant à autrui, pour le bien de tous.

L’époque n’est plus aux conflits mondiaux, frontaux, armés, et, comme toute vertu d’ancienne origine, la sincérité a vu son sens évoluer, dériver et s’affaiblir. On serait aujourd’hui tenté d’associer la démarche de diriger avec la notion plus faible d’encouragement. Il s’agirait d’une posture marquée uniquement par une forme de bienveillance, d’attitude positive envers ses collaborateurs, mettant en exergue les réalisations de l’ensemble des parties prenantes. Nous vivrions à l’ère de l’entreprise libérée, des architectures plates. Cette vision, peut sembler séduisante, elle est pourtant chimérique et peut s’avérer dangereuse. Chimérique parce qu’elle exclut ces notions fondamentales que sont l’autorité et l’exigence. Ces mots semblent renvoyer à un temps passé, ils sont pourtant extrêmement modernes et ils restent inséparables de l’idée même de diriger. A y regarder de plus près, l’entreprise libérée véritable, les architectures plates, dépendent, lorsqu’on les met en œuvre, de modèles terriblement responsabilisants et exigeants.

 

Ne pas faire de la sincérité un artifice

A ce titre, la vision caricaturale associée à une entreprise comme Google est très parlante. Google, et notamment son siège social, serait un lieu, à part, presque magique, en dehors de toute contrainte économique, où chacun serait libre d’agir selon ses volontés. Erreur. L’entreprise libérée n’est pas une entreprise anarchique, constituée d’intrapreneurs autonomes, ne répondant à aucune directive et définissant leurs priorités et leurs actions selon leur bon plaisir. C’est, au contraire, un lieu particulier de responsabilisation, de contrôle, d’autonomie, de cadre, avec, en amont, des parcours de recrutement extrêmement poussés, exigeants et sélectifs. Il n’y a pas de place au hasard ou à l’incompréhension mutuelle. L’entreprise libérée n’est pas non plus une entreprise sans leader. Bien au contraire, le projet de libération d’une structure est souvent porté au succès par un dirigeant sincère dans sa démarche. Ce fut le cas au sein de Harley Davidson qui, réorganisée en groupes de travail sans hiérarchie, a opéré un redressement économique historique. Cette réorganisation, impulsée par le P-DG du groupe, Richard Teerlink, a pris fin dès son départ pour laisser place à une organisation plus traditionnelle.

Dans cet exemple, la posture de sincérité ne relève en rien de l’artifice mais constitue l’essence même du projet. Quand Emmanuel Faber s’interroge sur le rôle et la finalité  de son entreprise, Danone, on comprend, de par les ressorts intimes qui entrent en jeu, qu’il ne s’agit en aucun cas d’une posture vaguement assimilée à des politiques RSE, mais bien de l’identité même de l’entreprise, de sa raison d’être. L’opinion publique n’est d’ailleurs pas dupe et pose de plus en plus un regard analytique, voire méfiant, sur les poncifs de communication préformatés.

 

Ne pas être aimé mais respecté

Il ne s’agit pas pour un dirigeant d’être aimé, mais bien d’être respecté. Il ne s’agit pas de plaire, mais de donner un cap. Il ne s’agit pas de réconforter, mais de tenir face aux écueils qui viendraient retarder ou annihiler un projet, une vision. La sincérité du dirigeant passe par la vérité du message, sa non altération, dans ce qu’il porte de positif, de valorisant mais aussi de déceptif. La capacité à « forcer le respect », ce qui ne signifie pas être aimé de tous, nous rapproche toujours plus de l’essence du dirigeant. Plus de 50% des Français respectent, voire admirent, des leaders tels que Michel-Edouard Leclerc (le P-DG de l’enseigne de grande distribution E. Leclerc), Alexandre Ricard (P-DG du groupe Pernod Ricard) ou Xavier Niel (le fondateur et actionnaire principal d’Iliad, la maison mère de Free). Dès lors, on comprend aisément le lien entre respect, engagement, incarnation et acte de diriger. L’intérêt pour l’entreprise est évident : la force de l’incarnation, la capacité à produire, au-delà des simples considérations économiques, du sens réel. On le sait très bien, les résultats économiques ne comptent que pour 20% dans la réussite du dirigeant ; le reste tient à son identité, sa vision, sa capacité à donner un sens global à ses actions.

Si l’on s’autorise un peu d’étymologie, la sincérité constitue une forme de pureté, une absence de mélange, d’hybridation, le danger pour le dirigeant étant de s’éroder, à force de renoncements et de mensonges. La sincérité ne peut être mise en actes que par une certaine forme d’urgence, une capacité à faire sauter les silos, à s’adresser directement, sans intermédiaire, à ses partie-prenantes. Selon le 10e baromètre annuel de la confiance du Centre d’étude de la vie politique (Cevipof), seuls 9% des Français accorderaient leur confiance aux partis politiques. Cela confirme bien que la sincérité est réclamée mais aussi qu’elle a besoin d’être incarnée. Il faut, aujourd’hui au dirigeant, être en mesure de tenir ces discours de vérité qui passent outre les structures de pouvoir traditionnelles.

Source: HBR, Expert Leadership, Chronique de Christian Pousset

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